Pour ce second épisode de notre série d’interviews “Diversité : parlons-en ! ” qui explore les enjeux de la diversité en compagnie de personnes inspirantes et engagées, Jolokia est allé à la rencontre de Claire Duizabo, directrice de la communication de l’association Entourage et du projet Lindekout.

Entretien réalisé en août 2020 par Léa Landuré-Provost, équipière Jolokia 2020.

Claire Duizabo

Entourage est une association fondée en 2014 qui vise à créer du lien social entre riverains et personnes SDF notamment grâce à l’application mobile ‘Entourage’ qui permet de coordonner des actions de solidarité à l’échelle locale. L’association Entourage a créé le projet LinkedOut qui accompagne le retour à l’emploi des plus précaires. 

À l’heure où le skipper Thomas Ruyant s’apprête à prendre le départ du Vendée Globe sur un Imoca aux couleurs de LinkedOut “une idée d’Entourage”, Claire Duizabo nous explique les missions et les valeurs d’Entourage où elle est responsable de la communication et revient sur son cheminement personnel.

Jolokia : Pourrais-tu nous présenter Entourage ?

Claire Duizabo : Entourage est une association créée il y a 5 ans sur un double constat. Tous les jours, nous croisons dans nos rues des personnes exclues, en grande précarité et souvent sans domicile. À part sourire maladroitement et donner quelques pièces, nous nous demandons ce qu’il est possible de faire et nous nous sentons impuissants. Or, au delà des conditions matérielles (se loger, se nourrir, se laver), ces personnes ont avant tout besoin de lien social ! Avoir des gens sur qui compter, un réseau, des amis, être considéré, avoir un prénom… Cela rend vivant, donne de l’espoir et permet de tenir.

La mission d’Entourage est de donner des outils et conseils aux voisins pour passer à l’action et aller à la rencontre des personnes SDF. Nous sommes convaincus que chacun à son échelle peut “faire sa part” et tendre la main à la personne croisée en bas de chez soi, lui demander son prénom, lui faire prendre conscience qu’elle peut compter sur nous…

Cela rejoint la métaphore du colibri : la somme de toutes les actions permettra de résoudre ce problème. D’après une étude de l’INSEE, il y avait 143 000 personnes SDF en France en 2012. Les associations estiment qu’il y en a deux fois plus aujourd’hui. Nous sommes 66 millions de Français, je suis certaine que nous pouvons donner une place à ces personnes qui n’ont plus rien !.

Entourage associe la technologie au social pour lutter contre l’exclusion relationnelle. Partir du numérique pour favoriser le rapprochement : n’est-ce pas contradictoire ? En quoi la tech et la communication jouent-elles un rôle déterminant pour l’inclusion ?

Nous sommes convaincus que la technologie est un moyen et jamais une fin. Lorsqu’elle est bien utilisée et mise au service de l’humain, elle a le super pouvoir de rassembler, de donner de l’écho et de faire passer les projets à l’échelle supérieure. L’application mobile Entourage permet de coordonner l’entraide localement. Un voisin peut proposer son aide, les associations peuvent demander du renfort et les personnes en précarité elles-mêmes peuvent prendre la parole. D’après une étude, 71% des personnes sans domicile possèdent un smartphone. Aujourd’hui, ces personnes-là peuvent exprimer ce dont elles ont besoin sur notre réseau.

L’aide a tendance à être descendante, verticale. A l’inverse, la technologie permet d’avoir de l’horizontalité. Sur l’application, il n’y a pas d’étiquette. Nous ne précisons pas qui est “avec” ou “sans domicile”. La technologie positive permet de sensibiliser, viraliser et rassembler les bonnes volontés au même endroit.

La communication aussi permet de faire avancer la société. Changer les regards, changer les coeurs, c’est déjà agir, parce que c’est déjà semer une graine quelque part. Prenons l’exemple de la sécurité routière : à force de marteler le message, aujourd’hui tout le monde met sa ceinture et des vies sont sauvées. C’est ce que nous essayons de faire à notre échelle sur le lien social avec les plus précaires.

Qui peut agir ? Qui peut s’impliquer et comment ?

Bonne nouvelle : tout le monde peut agir ! Lors de la création de l’application Entourage, certains utilisateurs se demandaient comment s’y prendre. Nous avons donc créé le programme de sensibilisation “Simple comme bonjour”. Il recense toutes les questions posées par les utilisateurs. Nous avons essayé d’y répondre en donnant la parole aux experts de la Rue. Cela permet de parler de la grande précarité avec un ton volontairement positif, bienveillant, assez coloré. “Aller à la rencontre” c’est gagnant-gagnant ! Cela procure de la joie des deux côtés. Il faut arriver à se débarrasser des étiquettes et réaliser que ces gens ont une vie et une richesse à apporter !

Comment a commencé ton engagement ? Quelle est ton expérience personnelle ?

La rencontre avec Jean-Marc Potdevin, le fondateur d’Entourage, est déterminante ! Après mes études à Sciences Po, j’avais l’impression de voir le monde sous un prisme binaire avec les “forts” d’un côté et les “faibles” de l’autre. En tombant par hasard sur le projet Entourage, j’ai réalisé que c’est en croyant être fort que l’on est faible, et qu’il n’y a jamais autant de richesse et de joie qu’en s’entourant de gens différents. Être entouré de personnes qui pensent comme soi est une bulle bien trompeuse !

Aujourd’hui, chez Entourage, un Comité de la Rue fait partie de l’équipe et de notre gouvernance. Neuf personnes, actuellement ou anciennement SDF, nous aident à prendre toutes les bonnes décisions. Ils sont notre boussole, nos “experts de terrain”.

Comment et pourquoi ce Comité de la Rue a-t-il été créé ?

Comment faire autrement ? Créer une application mobile d’entraide pour les personnes en grande précarité est un pari. Avant de nous lancer dans des développements hasardeux, nous avons rencontré les personnes SDF pour savoir ce dont elles auraient besoin et quel message elles adresseraient aux voisins si elles en avaient la possibilité. Nous les consultions si régulièrement que nous avons rassemblé les personnes de confiance en un Comité de la Rue. C’est une pratique que nous essayons de promouvoir. Nul n’est plus légitime à porter une cause que les personnes directement concernées. Je suis convaincue de la nécessité qu’elles soient représentées dans les conseils d’administration et puissent prendre part aux décisions !

Entourage fait l’expérience de l’inclusion au quotidien : quelles sont les difficultés rencontrées ?

La notion du temps est l’une de celles qui me marquent le plus. Pour les personnes en situation de grande exclusion, le passé est compliqué, le présent est une lutte au jour le jour et le futur est si sombre que l’on refuse de se projeter. Dans ce contexte, proposer un “rendez-vous la semaine prochaine à 15h” ne fonctionne pas!

Entre les voisins « avec » et « sans domicile », il faut aussi briser la glace. Entourage organise une dizaine d’événements de convivialité chaque semaine à Paris, Lyon, Lille, Rennes et dans le 92. Ce sont des prétextes pour permettre la rencontre.

L’insertion professionnelle des personnes exclues est une autre difficulté. Dans la rue, elles ont développé des réflexes de survie. C’est difficile pour ces personnes, souvent beaucoup plus franches et directes, d’arriver dans le milieu policé du monde du travail et d’en assimiler les codes. Pour soutenir leur retour à l’emploi nous avons créé le programme LinkedOut.

Thomas Ruyant s’apprête à prendre le départ du Vendée Globe sur un Imoca aux couleurs de LinkedOut “une idée d’Entourage”. Avant cela, LinkedOut est une initiative inclusive : en quoi consiste ce programme ?

En situation de grande précarité et d’exclusion, les chances de retrouver un travail sont proches de zéro. LinkedOut est un programme consacré au retour à l’emploi des personnes qui n’ont pas de réseau et encore moins de réseau professionnel. L’année dernière, nous avons fait une expérimentation en viralisant sur les réseaux sociaux les profils de personnes exclues, en insistant sur leurs qualités humaines.

Via LinkedOut.fr, tout le monde peut partager ces CV sur son propre réseau LinkedIn, Twitter, Facebook… Cela permet d’offrir de la visibilité et générer des opportunités d’emplois ! Recruter ces profils-là dans une équipe n’est pas “garanti 100% sans obstacle”. C’est un pari. Mais quelle aventure humaine ! Nous comptons sur les recruteurs pour parier que la diversité va être une immense richesse.

LinkedOut fonctionne par promotion : comment les candidats sont-ils sélectionnés ? La plateforme publie ensuite leur CV en capitalisant sur les forces des candidats tout en communiquant ouvertement sur leurs différences, leurs difficultés… Comment valoriser ces profils ?

Nous valorisons ces profils par le témoignage. L’une de nos missions est de sensibiliser les décideurs, car ils ont le pouvoir de changer le visage de l’entreprise. C’est un pari de remettre en emploi des personnes marginalisées. Nous intégrons dans le dispositif LinkedOut des personnes qui sont déjà en voie d’insertion.

Il s’agit d’inclusion lorsque la société s’ouvre et laisse une place à tous, et d’insertion lorsque la personne exclue doit faire l’effort de s’intégrer dans une société qui n’est pas conçue pour accepter les différences, voire les rejette. Aujourd’hui l’intégration demande des efforts sur-humains. Au contraire, nous essayons de promouvoir une société inclusive où les gens “normaux” doivent changer et créer de la place pour la différence.

Les candidats LinkedOut sont accompagnés et suivis par des associations partenaires, chargées de leur insertion. Via Entourage, ils sont aussi en lien avec des bénévoles coach, dont le rôle est de soutenir leurs démarches. Tout le monde peut devenir bénévole coach. Il s’agit simplement d’avoir une bonne connaissance du monde du travail pour aider à faire des CV, préparer les entretiens, envoyer un petit message d’encouragement… Sans réseau, ni famille, ce soutien est déterminant sur le plan psychologique pour se sentir bien dans sa recherche d’emploi !

Ces actions permettent de redonner confiance aux candidats. Il s’agit également de donner confiance aux recruteurs, aux sociétés et plus globalement à la société, d’oser faire le pari de la diversité. D’après tes retours d’expériences : quelles seraient tes recommandations pour aller vers l’inclusion ?

Un an après, les témoignages des recruteurs montrent que c’est un parcours long mais gagnant-gagnant. Je pense par exemple à Eugénie. Elle est fleuriste et a embauché Mia l’année dernière. Il ne parlait pas très bien français mais il avait un sourire jusqu’aux oreilles. Aujourd’hui Eugénie me raconte que Mia est le pitre et le pilier de l’équipe. Tout le monde a été conquis ! C’est un leurre de croire que les gens qui se ressemblent font avancer les projets plus vite. Ensemble on va plus loin ! Certes la phase d’adaptation est un peu compliquée. Mais à terme, cela donne tellement de sens. C’est un pari sur le futur !

On parle beaucoup du futur en ce moment : quelle est ta vision ? Comment rêves-tu le monde d’après ?

Si j’avais une utopie, ce serait que chaque entreprise prenne conscience de sa responsabilité, du rôle incroyable qu’elle a et de son pouvoir d’agir. Il est très important que les PDG prennent la parole pour dire “j’ai fait le pari d’embaucher des gens différents et ma boite ne s’est pas écroulée du jour au lendemain !” Je crois au rôle de l’entreprise pour dessiner cette société plus inclusive, parce qu’au-delà des ressources un emploi est une fierté, une utilité sociale. C’est se lever le matin en se disant “j’ai retrouvé une place et le monde a besoin de moi”. C’est “faire partie” d’un tout.

 

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